La chasse

Dans la catégorie: Écrits — kwyxz le 11/02/08 à 20:00

(À Ute)

Je n’ai pas dormi depuis 3 jours. La tête enfoncée dans les genoux, recroquevillé dans un coin de la chambre et dissimulé derrière le lit, j’attends de pouvoir sortir. Je me suis enfermé dans un petit appartement de la banlieue londonienne, toutes lumières éteintes, depuis plusieurs heures. Ce n’est pas ma chambre. Ce n’est pas chez moi. Je ne sais même pas qui habitait ici avant. Avant… l’épidémie. Je préfére éviter de me montrer à la fenêtre: ma dernière sortie avait failli m’être fatale et j’avais eu un mal fou à les semer. Le moindre indice leur aurait permis de me suivre: j’avais donc précautionneusement fait disparaître chaque empreinte, chaque trace de mon passage. Quelque part, je sais qu’à ce petit jeu je serais finalement perdant. Je ne leur échapperai pas éternellement. Toute ma famille, tous mes amis ont disparu, tous sans exception: un véritable massacre. Je dois sortir, trouver une autre cachette. À quelques rues d’ici, je peux les entendre briser des fenêtres, défoncer des portes, pénétrer dans les habitations en hurlant. Ils sont à ma poursuite. Ils me traquent. Si je ne fais rien, bientôt, ils me trouveront. Et comme les autres, ils me tueront.

Bientôt neuf semaines depuis l’épidémie. Ce n’est pas une épidémie comme les autres. Les symptômes en sont multiples: peau blanche et violemment réactive à la lumière solaire, ralentissement extrême des battements cardiaques, coloration rougeâtre des dents et ongles, longueur anormale des dents et croissance accélérée des cheveux, paranoïa, agressivité et crises de violence. Le mode de contagion est lui aussi atypique: les malades mordent les sujets sains soit pour dévorer leurs chairs, soit uniquement pour les contaminer. Afin que la mutation soit plus rapide, ils attaquent directement à la base du cou. La presse a rapidement parlé de vampirisme. Le ministère de la santé publique a préféré utiliser le terme de type extrême et rare de porphyrie. J’avais lu tous ces articles de magazines expliquant comment se protéger de la contagion, j’avais vu les émissions spéciales en direct à la télévision, écouté tous les bulletins d’information décrivant la progression de la maladie. Rien n’avait été efficace, jusqu’à ce que la population s’en remette aux bonnes vieilles méthodes décrites dans les romans et les films: gousses d’ail, crucifix, pieu de bois en plein coeur.

La rue est redevenue silencieuse. Sont-ils partis, lassés de me chercher ? Je sais que dans cette ville tout du moins, ils ont l’avantage, et nous ne sommes plus bien nombreux à leur résister. La nuit est encore noire. Il faut que je me décide à agir. Depuis plusieurs jours je me nourris avec tout ce qui me tombe sous la main, dans chacune des maisons que je visite. Je dors assez peu, toujours sur le qui-vive, paré à fuir en cas d’une attaque soudaine. J’avais essayé il y a quelques semaines de fuir par les égoûts, malheureusement ceux-ci étaient particulièrement surveillés. Il y a quelques jours, j’ai tenté de passer par les toits et il s’en était fallu de quelques secondes et d’une ardoise particulièrement glissante, causant la chûte de mon poursuivant, pour que je m’en sorte. Je n’ai pas le choix. Cela me terrifie, mais je dois de nouveau passer par la grande rue. Je me suis permis quelques furtifs coups d’oeil afin d’observer le terrain. Au pied du lampadaire, je crois voir les reflets d’un truc métallique. Si j’ai de la chance, c’est un vélo en état de rouler. Si j’en ai moins, c’est une épave.

J’entrouvre la porte d’entrée et celle-ci émet un interminable grincement. Je vais mourir, me dis-je. Mais autour de moi rien ne bouge, et c’est le silence le plus complet à l’exception du vent qui hurle en s’engouffrant dans les ruelles adjacentes. C’est bien un vélo, posé sous l’éclairage public, et qui luit de mille feux. J’attends quelques minutes, scrutant nerveusement les recoins obscurs autour de la bicyclette, mais il n’y a toujours personne. Je me lance donc, d’un pas rapide, en direction de ma future monture, je l’enfourche, et donne un puissant coup de pédale.

Je fais un mètre environ. Puis je m’envole.

Alors que je m’écrase sur le bitume, mon bras droit et mon visage raclent le sol. Je pousse un cri mélant à la fois douleur et surprise. Une chaîne antivol maintenant fermement la roue arrière au lampadaire a freiné net tout espoir de fuite. Je saigne, mon bras me brûle mais je n’ai guère le temps de retirer les gravillons incrustés dans la chair. Ils m’ont entendu. « Il est là ! On se le fait, allez allez allez ! » je les vois sortir de leurs cachettes, ils attendaient que je sorte et que je commette une erreur, ils se savent en supériorité numérique, ils jouent avec moi. Je suis un gibier. Je ne suis que le prochain nom sur la longue liste de ceux qu’ils auront massacrés. Je me relève péniblement et commence à courir, j’entends leurs cris se rapprocher, je sens leur respiration dans mon cou. Une pierre manque de m’assommer, je me précipite dans une ruelle priant pour que celle-ci ne débouche pas sur une impasse. Sur la droite, une porte cochère. Je m’engouffre à l’intérieur de ce qui ressemble à la sortie de service d’un restaurant, mais une fois arrivé dans la cuisine je m’arrète net. Ils sont trois. Ils ont l’air surpris de me voir. Ils ont des couteaux. Je tourne rapidement les talons, mais mes poursuivants sont déjà là.

J’ai à peine le temps de sentir le pieu s’enfoncer profondément là où, avant l’infection, battait encore mon coeur. Je deviens poussière.

6 Commentaires

Commentaire de Chabi

11/2/2008 @ 20:51

Tu te lances dans l’écriture? Sympa, ca rappele franchement quelques films récents. En saura-t-on plus?


Commentaire de kwyxz

11/2/2008 @ 21:04

Ce n’est pas une première, il y a une catégorie spécialement réservée à ce genre d’exercice, “Ecrits” :)


Commentaire de Ute

11/2/2008 @ 23:04

Kwyxz, you’re doing it right :]


Commentaire de raton-laveur

13/2/2008 @ 0:49

Toi, t’es une légende.


Commentaire de Hypolite

13/2/2008 @ 11:34

Encore une fois très bien écrit et très agréable à lire, un sans faute.


Commentaire de kwyxz

13/2/2008 @ 11:40

Merci :$


Flux RSS des commentaires de ce post •

Sorry, the comment form is closed at this time.