Lundi (1)
Lionel s’était levé difficilement ce matin-là, même si celà commençait à devenir une habitude. Tout en beurrant ses tartines, il maudissait son voisin d’avoir, la veille, décidé d’organiser une petite fête surprise dans la pièce mitoyenne à sa chambre et l’avait passablement empêché de dormir. Il allait vraisemblablement être en retard au lycée, une fois de plus. Il regarda son agenda. Lundi. Philo avec Monsieur Bordet à huit heures. Il jeta un rapide coup d’oeil à sa montre: sept heures quarante-deux. En comptant le temps de se brosser les dents, de se débarbouiller la figure, de sauter sur son vélo, et de pédaler jusqu’au bahut, il devrait arriver vers huit heures et quart.
Il engloutit sa dernière tartine pain-beurre-confiture et courut à l’étage jusqu’à la salle de bains. Il frotta vigoureusement son visage d’un gant de toilette humide, espèrant vaguement que l’eau froide l’aiderait à avoir l’air un peu plus présentable. Aujourd’hui, il avait prévu d’inviter Nelly à aller boire un café après les cours. Mieux valait ressembler un petit peu à quelque chose histoire d’éviter d’essuyer un nouveau refus.
Merde. Un bouton d’acné.
Il fut partagé entre l’envie de laisser le monstre là où il était, c’est à dire juste au dessus de son oeil gauche, superbe protubérance volcanique sur son front qu’aucune mèche de cheveux ne pourrait cacher, ou l’envie d’exploser la pustule au risque de faire saigner, ce qui aurait environ deux inconvénients. Tout d’abord, faire saigner. Et du sang, c’est quand même largement plus visible qu’un bouton. Ensuite, durer plus longtemps. Un bouton qu’on explose, c’est des emmerdes pour des semaines. En le laissant pourrir tout seul, il disparaît plus vite. Tout du moins, c’est ce que Lionel avait cru remarquer avec les précédents. Tant pis, laissons-le là. Avec un peu de chance… avec beaucoup de chance, Nelly ne le remarquera pas.
Après ces moments d’intense réflexion, Lionel avait maintenant cinq bonnes minutes supplémentaires de retard. Il descendit les escaliers quatre à quatre, récupèra son sac de cours, claqua la porte derrière lui sans penser à sa mère qu’il allait probablement réveiller à l’occasion, et bondit dans l’ascenseur. Comptant les étages jusqu’au sous-sol qui lui permettrait de récupèrer son vélo, il regarda sa montre avec un semblant de lassitude. Sept heures cinquante-trois. Autant dire qu’il pouvait faire une croix sur le premier cours.
La porte de leur box s’ouvrit en grinçant. Il récupèra son vélo rapidement, évitant au maximum de faire une rayure sur la Clio grise de sa mère d’un coup de pédale malencontreux, referma le box, sauta sur la selle, et se mit en route. Le parking souterrain aux murs peints vert et blanc lui semblait d’un tel lugubre qu’il tentait à chaque fois de battre un record de sprint pour en sortir à l’extrême limite, alors que la porte automatique se levait dans un bruit sourd. La lumière du gyrophare orange envahissait l’espace comme un spot de boîte de nuit.
Il déboula sur le boulevard et obliqua rapidement vers le couloir de bus. Les couloirs de la mort, comme Lionel se plaisait à les appeller. Un cycliste là-dedans, il joue sa vie. S’il ne se fait pas serrer contre le trottoir par un bus, il se fait défoncer par un taxi qui roule à fond les gamelles. Mais après s’être fait sérieusement engueuler par un flic un jour où il roulait sur le trottoir, Lionel avait abdiqué et utilisait les couloirs de la mort.
Il regarda sa montre, huit heures six minutes.
Au dessus de lui, un bruit sourd, comme un ronronnement.
Il leva la tête pour voir ce que c’était.
Et tout fut terminé.
(à suivre)
Commentaire de choda
10/8/2005 @ 19:02
“Et tout fut terminé.”
Et oui, forcément, en se levant à 8h42, Lionel, il ne savait pas que la fin du monde, c’était 24 (soit 2*12) minutes plus tard.