Lundi (2)
La relève venait d’arriver, et Robert allait maintenant rentrer chez lui. Il assurait le gardiennage de nuit d’une tour du quartier de la Défense. Vingt-deux heures trente, sept heures trente, des horaires lui interdisant toute vie sociale. Robert était divorcé depuis maintenant neuf ans et n’avait jamais cherché à refaire sa vie. Il savait pertinemment qu’aucune femme ne supporterait ce mode de vie qui avait poussé Madeleine à le quitter, emmenant avec elle leurs deux enfants.
Djamal était arrivé dix minutes en avance pour le remplacer. Ils avaient discuté autour d’un café. Quand ils discutaient tous les deux, Robert se disait que finalement il n’avait pas trop à se plaindre. Réfugié politique depuis que l’armée avait pris le pouvoir en Tunisie suite à l’assassinat du roi deux années plus tôt, Djamal avait eu toutes les peines du monde à obtenir un titre de séjour. Le gouvernement français avait fait traîner le dossier pendant des mois, interdisant à Djamal toute couverture sociale, tout revenu, et tout toit. Il avait galèré, de petit boulot en petit boulot, dormant occasionnellement dans de vieux immeubles occupés par les squatters, trouvant refuge sous la chaleur d’une couverture moisie, risquant à chaque instant la morsure d’un rat qui crierait famine. Et puis finalement, grace à l’aide d’un autre réfugié, Malekh installé depuis longtemps et marié avec une française, Djamal avait obtenu sa carte de séjour. Malekh lui avait même dégotté cet emploi de gardiennage à La Défense.
Robert avait proposé une cigarette à Djamal, que celui-ci a poliment décliné. Devant l’étonnement de Robert, il lui avait expliqué qu’il avait une relation avec une femme un peu plus agée que lui, qui avait un enfant en bas âge et qu’il avait décidé d’arrêter de fumer pour lui. Robert n’arrivait pas à donner un âge à son collègue. La trentaine, peut-être ? Pas une mauvaise idée d’arrèter de fumer. Après avoir échangé leurs pronostics sur le résultat du match de l’équipe de France du soir ainsi qu’une poignée de main, Robert prit congé. Il se dirigea vers le parking, au niveau -3 de l’imposante tour. D’un clic, il ouvrit les portes de sa voiture et se faufila à l’intérieur. Une petite demie-heure de route pour rejoindre son domicile et enfin dormir. Sept heures cinquante-et-un. Au plus tard, dans une heure il rejoignait les bras de Morphée et cette perspective l’enchantait: la nuit avait été particulièrement ennuyeuse.
Le hurlement d’une voiture qui freine. Le choc à l’arrière. Robert roulait déjà depuis quelques temps sur le périphérique sud en direction de la porte de Vincennes quand une voiture allemande avait décidé de le doubler. Elle s’était décalée sur la file de gauche, constatant un peu tard que celle-ci était obstruée par un embouteillage. De justesse, elle s’était rabattue sur la file de droite, mais malgré une solide pression sur la pédale de frein, venait de percuter la voiture de Robert. Les deux véhicules roulèrent quelques mètres encore jusqu’à une aire de stationnement, et les deux conducteurs sortirent du véhicule.
Robert resta sans voix devant la beauté de la jeune femme brune qui venait d’emboutir l’arrière de son vieux break. Il jeta un oeil à sa montre en sortant les papiers pour le constat. Heure de l’accident: huit heures et quatre minutes.
Il se retrouva bien embêté quand la jeune brune lui fit comprendre qu’elle ne parlait qu’allemand et anglais. Il tenta de bredouiller quelques mots en anglais pour expliquer qu’il fallait remplir un constat. Le vrombissement des voitures sur le périphérique était assourdissant, et le soleil commençait déjà à cogner.
Et tout fut terminé.
(à suivre)
Commentaire de ana
11/8/2005 @ 14:25
On cherche le lien avec le précédent… ?