Coûte que coûte
L’émission commence par un jingle sur fond de musique classique tout droit tiré des années 80. Philippe, le médecin, et Margarete la psychothérapeute sont « À votre écoute, coûte que coûte » et animent une émission de conseils aux auditeurs dans la droite lignée de ceux de Ménie Grégoire ou même d’Anne-Marie Peysson et Alain Krauss dans « Les auditeurs ont la parole ».
Seulement voilà, Philippe et Margarete sont tous les deux des cathos coincés, réacs, homophobes, xénophobes et leurs « conseils » bas du front ne valent pas tripette, la discussion se terminant généralement par un raccrochage au nez dans les règles de l’art, parfois par les deux médecins à court d’arguments, souvent par l’auditeur furieux. Diffusée depuis seulement deux semaines par France Inter, « À votre écoute, coûte que coûte » provoque la fureur d’une partie de ses auditeurs, scandalisés des propos tenus. Et, si l’émission était véridique, il y aurait de quoi.
Sauf que ce programme, d’une durée d’environ 6 minutes, est un canular, une émission de divertissement et d’humour grinçant qui personnellement me fait pleurer de rire. Les deux animateurs et leurs auditeurs sont tous des acteurs (la rumeur fait courir les noms de Zabou Breitman et Laurent Laffite dans le rôle des deux médecins) et le but avoué est bien de moquer ces deux escrocs, médecins de pacotille aux conseils douteux et aux réactions bancales, tout en pointant du doigt leur discours façon café du commerce.
Le résultat ? Un joli bordel. Certains adorent, vantent le ton décalé et louent le courage d’Inter. D’autres sont purement scandalisés, certains parce qu’ils ne trouvent pas ça drôle, d’autres parce qu’ils pensent le programme sérieux. Suite à un épisode où les deux médecins tancent un auditeur homosexuel, Act-Up Paris, reconnaissant qu’il s’agit d’un canular, se fend néammoins d’une lettre ouverte reprochant à Inter de contenter aussi les homophobes.
Si l’humour peut ne pas être partagé par tous et s’il est tout à fait autorisé, compréhensible et acceptable de ne pas trouver le programme drôle, « À votre écoute coûte que coûte » met en relief des problèmes que j’estime néammoins graves et révélateurs de notre société actuelle.
Oui, il est gravissime que l’on puisse écouter cette émission et ne pas comprendre qu’il s’agit d’un canular, parfois après plusieurs épisodes. Les emails scandalisés reçus par Inter, les commentaires déposés sur le site de la radio ou sur les différents articles parlant de l’émission montrent que des centaines d’auditeurs prennent les deux intervenants au sérieux. Mais comment en est-on arrivé là ? Comment une part de la population peut-elle ne pas déceler l’humour derrière ces propos scandaleux ? Peut-être tout simplement parce que des propos de ce genre se retrouvent de plus en plus dans la presse, proférés par des types pas du tout ironiques, eux, et dont l’émission veut montrer la bêtise.
Oui, il est révélateur qu’Act-Up monte au créneau en expliquant que les propos des deux faux médecins sont tellement proches de ceux entendus tous les jours par homos / lesbiennes / bi / trans qu’ils ne sont pas de vraies caricatures et donc perdent leur caractère comique. Mais accuser la radio de faire le lit des homophobes, c’est à mon sens se tromper de combat. C’est reprocher à Desproges (évidemment souvent cité dans le débat actuel) de faire plaisir aux antisémites lorsqu’il racontait des blagues sur les juifs pendant ses spectacles. Parmi les commentaires reçus par le magazine Têtu sur son site web suite à leur article « La nouvelle émission de France Inter est-elle allée trop loin ? » celui de Cedric799 résume parfaitement la chose : « C’est un programme où toutes les communautés en prennent pour leur grade ; et c’est salutaire de proposer un humour grinçant et politiquement incorrect sur une antenne de service public dont les valeurs sont exactement à l’opposé, c’est à dire la tolérance, le respect de l’autre, la culture et l’intelligence. (…) Je pense justement que la culture et l’intelligence, la vraie, pas celle basée sur des idées reçues, sont les meilleures armes contre l’homophobie, et France Inter est une radio culturelle qui aime et respecte toutes les identités, et les met en avant. (…) Il est nécessaire de ne pas toujours parler d’homosexualité avec gravité ou avec des stéréotypes ; cet humour, qui prend les traits d’un discours moralisateur et homophobe, est en réalité une illustration de l’homophobie ordinaire qui encrasse l’esprit de certaines élites conservatrices et les conduit à faire preuve de ce mépris et de cette consternation si présente dans ce programme. »
Beaucoup reprochent à France Inter de ne pas clairement indiquer qu’il s’agit d’un canular. La station entretient volontairement le doute sur le programme, préférant faire confiance à l’intelligence de ses auditeurs. À notre époque ce pari semble difficile à relever.