Les mystères de Jean-Luc
Cette critique de la série Les Mystères de l’Amour a été initialement publiée sur Sens Critique
Treize épisodes de cette nouvelle saga ont été diffusés, soit la moitié de cette première saison. Je pense qu’il est désormais possible d’écrire une critique assez juste de l’oeuvre sans que les épisodes futurs ne la fassent trop mentir. Dans le cas contraire, je procèderai à des corrections.
Sept ans après la fin des Vacances de l’Amour, la joyeuse bande de copains rentre en France et se range des bécanes. José et Bénédicte ouvrent un restaurant sur l’île de la Jatte, Nicolas, devenu photographe, fréquente la gérante d’un bar à hôtesses et habite sur une péniche, Christian file le parfait amour avec une petite jeunette nommée Angèle, Laly est journaliste pipole et trouve le temps de passer voir ses amis entre deux avions. Mais la petite vie tranquille de tous est perturbée lorsque Jeanne, que tout le monde pensait morte, débarque…
Ce n’est pas peu dire qu’elle était attendue au tournant, cette fameuse suite. Et le moins que l’on puisse dire était que le tableau s’annonçait allèchant: nouveaux lieux, nouvelles situations, nouveaux personnages, nouvelles problématiques… très vite, trois histoires majeures se mettent en place et se déroulent en parallèle.
Malheureusement c’était sans compter sur l’inventivité de Jean-François Porry, alias Jean-Luc Azoulay, pour scier lui-même la branche sur laquelle il est assis. Chaque arc narratif, les trois sans exception, se retrouve systématiquement saboté. Un twist scénaristique intervient ? Hop, pas grave, on le fout en l’air cinq minutes plus tard. Un épisode se termine par un cliffhanger au suspense haletant ? Il ne faudra que trente secondes lors de l’épisode suivant pour résoudre la moindre situation compliquée. Et le plus aberrant, le plus effroyable, est ce fil rouge sur une histoire de trafic de drogue et de prise d’otages par des truands colombiens qui se termine en… deux minutes chrono, via un stratagème tellement grotesque qu’on a l’impression que le téléviseur traite le spectateur de gros débile consanguin et l’invite à changer de chaîne. Non mais sincèrement, je n’exagère pas, et pour ceux qui n’ont pas peur des spoilers on va faire le tour des incongruités qui me viennent à l’esprit dans le détail.
HERE BE SPOILERS
Expédions d’entrée l’arc le moins intéressant: Béné, on l’a vu plus haut, tient un restaurant sur l’île de la Jatte. Chaque scène dans ce restaurant est immédiatement identifiable par une musique qui est un plagiat intégral de celle du village Kokiri d’Ocarina of Time. Si c’est involontaire, c’est assez impressionnant de ressemblance. Lassée des infidélités répétées de José, Béné se laisse séduire par un jeune peintre qui affiche près d’une vingtaine d’années de moins qu’elle au compteur. Ils vont se tourner autour, flirtouiller, finalement elle va céder et ira prendre du bon temps sur la péniche du jeune à plusieurs reprises. Ces scènes figurent haut la main au Panthéon des scènes d’amour les moins érotiques de l’univers: aucune sensualité, une musique d’accompagnement horrible, on n’a qu’une seule envie c’est qu’elles se terminent vite et pourtant Laure Guibert est resplendissante: quel gâchis. Pourtant lorsqu’une jeune fille catégorie avion de chasse débarque dans la chambre du jeunôme et surprend les tourtereaux, que Béné prend la poudre d’escampette tandis que l’autre répète bêtement “c’est pas du tout ce que tu crois” on se dit que ça y est, il se passe enfin un truc intéressant dans cette amourette niaise et ennuyeuse… immédiatement annihilé dans les dix minutes suivantes “mais c’était ma soeur en fait, ah ah ah”, la niaiserie reprend, puis Béné décide que ça suffit les conneries, et on apprend que le jeunôme fait une tentative de suicide, et ça c’est sa soeur qui l’apprend à Béné sauf qu’en fait c’était pas sa soeur mais un de ses plans cul, mais c’est pas grave finalement.
Oui rien qu’à la lecture de ça vous vous êtes certainement déjà dit “Quel est le fuque ?” mais attendez, parce que le meilleur est à venir.
Pendant Hélène et les Garçons moi je n’aimais pas beaucoup Christian, son personnage était particulièrement irritant et en plus il faisait souffrir Johanna, et Johanna c’était ma préférée et j’en étais amoureux et tout. Oui bon j’avais douze ans. Mais là Christian il est touchant, c’est un alcoolique repenti, il a une liaison avec une petite jeunette toute mignonne et ils habitent ensemble, il continue à essayer de vivre de sa musique et a des problèmes d’argent, bon, jusqu’ici ça se tient. Sa copine Angèle quitte son boulot parce que son supérieur lui fait des propositions indécentes, elle n’ose pas le dire à Christian et cherche donc un plan de secours. Elle s’adresse à Ingrid la copine de Nicolas qui l’engage dans son bar à hôtesses. Quitter un job suite à des avances d’un supérieur pour en démarrer un dans un bar à hôtesses, ça vous situe un peu le niveau de la meuf. Mais là où ça devient franchement proche du nawak total c’est quand le big boss de son ancienne boîte décide de la réengager comme secrétaire personnelle. Dès le premier déjeuner on calcule direct qu’il veut se la taper, c’est cramé à des années-lumière, sans parler de son discours de chien de la casse à base de “vous avez un merveilleux sourire” et autres “vous êtes une perle”. Pendant ce temps une ex de Christian manigance pour le récupérer et celui-ci tombe dans un traquenard: sa petite amie Angèle dont il est amoureux et à qui il déclare vouloir faire un enfant préfère croire l’ex que lui, et se retourne vers son patron trop content de la récupérer (et de pourrir Christian au passage). Et malgré ses méthodes de bourrin lourdingue absolu, elle ne voit rien venir:
– ils déjeunent ensemble un midi sur deux
– il sait qu’elle tap… qu’elle travaille dans un bar à hôtesses, mais ça ne le dérange pas plus que ça
– il lui prête un studio dans son immeuble, gratuitement, pendant plus de deux mois
– il lui apporte le petit dej au lit tous les matins, pendant ces mêmes deux mois
– il fait la vaisselle pendant qu’elle se douche, parce qu’au bout de deux mois c’est la tradition
– il la conduit au boulot en bagnole et la ramène le soir, pendant deux mois toujours
– il n’a de cesse de la complimenter sur son sourire, ses jolis yeux, alors qu’en cachette il se tripote le zizi en reniflant son écharpe
ET CETTE CONNE NE CALCULE RIEN ! PENDANT DEUX MOIS, À AUCUN MOMENT ELLE NE GRILLE QU’IL VEUT LA NIQUER ! CETTE COOOOONNE !
Ahem. Pendant ce temps Christian se tape Johanna qui est revenue et il a bien raison.
Bon maintenant passons au gros morceau: la storyline “principale”, celle qui implique Patrick Puydebat, toujours sémillant, toujours la classe, dans une sombre histoire de trafic de drogue mâtinée de kidnapping et de gangsters qui roulent en Nissan Qashqai. On commencera par admirer la prestance avec laquelle le personnage de Jeanne revient sur le devant de la scène:
– Jeanne, mais, je te croyais morte ?
– Non, je m’en suis sortie
– Mais pourquoi n’as-tu pas donné de nouvelles ?
– J’étais occupée…
– Comment ça ?
– J’étais en prison.
Ça vous pose un retour non ? Durant douze épisodes on va apprendre que Jeanne a été accusée du meurtre de son frère, mais que c’est un coup monté par des narcotraficants colombiens. Sauf qu’en fait les colombiens la font aussi évader parce qu’elle a planqué une partie de la drogue, et ils vont s’attaquer à tous ceux que Jeanne va contacter afin de la retrouver: kidnapping d’Olga, puis d’Ingrid, puis de Jeanne elle-même, on ne lésine pas sur les moyens. Cette histoire de colombiens est la trame la plus importante et travaillée des douze épisodes, avec tentatives de rebondissements, implication d’un grand nombre de personnages, et c’est aussi elle qui décide de la chronologie de toute la série.
Sauf que.
Sauf que sa “résolution” est… je ne trouve pas les mots. Sincèrement.
Ingrid et Nicolas sont chez un avocat qui dispose des preuves permettant de faire sortir Jeanne de prison, celle-ci s’étant rendue aux flics. Mais Nicolas craint que les colombiens aient volontairement fourni quelques preuves histoire de la faire sortir, puisqu’ils veulent toujours lui mettre la main dessus. Ingrid, qui pendant trois épisodes s’est laissé allègrement violer par le boss du cartel (même si elle avait quand même l’air gentiment consentante parce qu’elle envisageait de récupérer une part de leur magot, ou alors elle jouait la comédie, en fait on ne sait pas trop, c’est dire si c’est étrange), propose de tendre un piège aux gangsters. Elle va se rendre chez le chef dont elle connaît l’adresse parce qu’elle a laissé un téléphone portable chez lui avec la géoloc activée, fera mine de se faire violer et bim, la police pourra intervenir. De façon assez incompréhensible Nicolas accepte le plan (MAIS ! BORDEL !) et la scène suivante passe immédiatement sur Ingrid chez le boloss. Il la pousse sur le canapé, elle pousse des cris, ET BOUM trois mecs grimés comme au GIGN débarquent et arrêtent le vilain. Chez lui on trouve des documents qui prouvent son implication dans le trafic. Fin de l’histoire, c’est réglé en… même pas deux minutes, et ça soulève tellement d’incohérences grotesques que ça devrait être étudié afin de servir de référence historique, le modèle de la résolution à ne pas suivre, celle que dans un téléfilm turkmène on irait chercher le scénariste dans sa famille à 4h30 du matin pour l’exécuter froidement d’une balle en pleine tête qui repeint les murs avec sa cervelle.
Pour ceux qui se poseraient la question, les trois arcs narratifs sont disjoints et n’ont aucun rapport entre eux. Y’a bien Laly ou Jimmy qui, n’ayant pas de rôle majeur dans aucun des trois, font le lien et vont de l’un à l’autre, mais ça ne va pas plus loin, et surtout ça pose des problèmes de cohérence quand la sortie de prison de Jeanne nécessite deux mois, ce qui provoque des réactions ridicules dans les deux autres arcs du fait du temps écoulé: qu’on ne me fasse pas croire que cette chaudasse de Laly va attendre DEUX MOIS après que Jimmy ait quasiment tenté de sauvagement l’attrapper sur le pare-chocs de sa bagnole pour finalement décider de sortir avec.
Pour finir sur une note négative après cette avalanche de qualités, la palme de l’acteur le plus catastrophique est remportée haut la main par l’interprète de Rudy. Je crois que de ma vie je n’avais jamais vu aussi mauvais, et pourtant j’en ai regardé des séries AB, enfin je veux dire le mec était déjà nul à chier par la bouche dans les Vacances de l’Amour, c’est vrai, mais dans le laps de temps il aurait peut-être pu prendre au moins des cours de diction, non vraiment, pour les autres on peut toujours blamer les dialogues mais sincèrement là je ne vois pas comment ça peut être autre chose, je n’ai rien de personnel envers lui mais il est vraiment nul, nul, nul, nullissimantesque. Tellement mauvais qu’il pourrait jouer un français dans le prochain Tarantino, c’est dire.
En bref, c’est un excellent plaisir coupable dont je ne rate aucun épisode. Après tout, c’est pas plus pourri que Plus Belle La Vie.