Mes quelques lecteurs de droite (si, si, j’en ai) se posent probablement déjà la question: « mais comment se fait-il que ce vil gauchiste n’ait pas encore posté le moindre sujet sur les événements actuels ? ». Eh bien tout simplement parce qu’avant de le faire j’ai pris un peu le temps de me renseigner. Vous êtes prèts ? Tordons le cou à quelques idées reçues.
Il paraîtrait, à en croire Sarkozy et Fillon, que les régimes spéciaux coûtent 5 milliards d’Euros à l’État. En effet pour certains de ces régimes, la contribution est importante: elle représente la moitié des recettes des régimes des cheminots (2,6 milliards d’euros) et de la RATP, 60 % pour le régime des marins, 36 % pour celui des mineurs. Sauf que manque de chance cette contribution ne sert pas à financer les “avantages” dénoncés par nos manifestants: elle sert à compenser les effets de leurs déséquilibres démographiques (on ne compte plus que 40 000 marins actifs pour 120 000 retraités, et 10 000 mineurs actifs pour 360 000 pensionnés). Indice pour vous chez vous: ouvrir un livre d’histoire vers la fin des années 40 et chercher l’expression “Baby Boom”.
À la SNCF aussi, le rapport démographique cotisants/retraités s’est sensiblement dégradé, du fait de la forte baisse des effectifs (de 450 000 à 170 000). À qui la faute ? Pour une large part aux choix politiques des pouvoirs publics, notamment la faveur donnée au transport routier, dénoncée par tous les syndicats. La subvention d’équilibre sert en somme à compenser la facture de cette politique. Ah, oui, au passage, quand on supprime des postes de fonctionnaires dans d’autres secteurs histoire de faire de nouvelles économies, on aggrave encore ce problème démographique… Mais j’imagine que c’est un détail.
Maintenant, gag, en premier lieu ce sont les régimes de salariés dans leur ensemble (régime général du privé comme régimes spéciaux) qui financent ceux des non-salariés, agriculteurs et professions libérales. Et si certains régimes spéciaux d’entreprise (SNCF, mineurs, marins) bénéficient bien de ces transferts, c’est pour des montants très inférieurs aux sommes versées aux régimes des exploitants et salariés agricoles: 1,5 milliard d’euros pour les premiers, 6,5 milliards pour les seconds… sauf qu’on va pas aller toucher aux retraites des agriculteurs, houlala, eux quand ils protestent ils saccagent le bureau de la ministre par exemple. C’est quand même moins risqué de s’attaquer aux cheminots.
Bin alors, à qui profite le crime ? Simple mon général. L’alignement et l’intégration des régimes spéciaux n’améliorerait pas les comptes du régime général de la Sécu. Au contraire: alors qu’il est aujourd’hui assumé en partie par l’État et les entreprises concernées, le financement du déséquilibre démographique des régimes spéciaux serait tout bonnement reporté sur le régime général. En bref, c’est toi, ami gueulard, qui vas payer avec tes impôts. Alors qu’à l’heure actuelle, ce sont les cheminots eux-mêmes qui cotisent pour financer les régimes en question: à la SNCF une part importante du taux global de cotisation retraite (12,88 % sur un total de 42,3 %) est expressément consacrée au financement des droits spécifiques.
Les pensions moyennes d’un retraité cheminot est de 1600 Euros Brut en 2006 pour 1713 Euros chez un salarié du privé. 19% des cheminots avaient une retraite inférieure à 1100 Euros brut par mois. 70% des pensions de reversions (veuves essentiellement) sont inférieures à 700 Euros brut par mois. Effectivement, quand on voit la retraite à 30 000 Euros par mois de Chirac, on comprend mieux pourquoi Sarkozy (qui, lui, palpe 20 000 Euros par mois d’argent de poche depuis qu’il s’est royalement augmenté tout seul) juge ces régimes de retraite indignes.
On entend tout un paquet de gueulards parler d’inégalités anormales, scandaleuses, de privilèges honteux. Qu’il faudrait donc niveller par le bas histoire de mettre tout le monde à la même enseigne. J’espère que parmi eux peu sont des hommes, parce que le jour où, au nom de l’égalité, on va aligner leur salaire sur celui des femmes ils risquent de le sentir passer. Pourtant voilà ce qui est proposé sur les retraites.
Et pour finir, on entend souvent dire “vu le boulot qu’ils font, ils peuvent pas dire que c’est pénible”. Le départ à 55 ans a l’origine était pour “fidéliser” les salariés à l’entreprise. La retraite à 50 ans pour les conducteurs correspond à la pénibilité liée au travail. A la SNCF de nombreux postes de sécurités nécessitent des formations longues et onéreuses pour la SNCF, afin de fidéliser ses salariés, elle leur proposa des avantages spécifiques comme la retraite à 55 ans. Ce type de systèmes existe déjà partout, notamment dans les grandes firmes américaines, lesquelles proposent régulièrement à leurs salariés des avantages spécifiques en termes de retraite et de prestation sociale.
Pour ce qui est de la pénibilité au travail, sur 160000 cheminots, 120000 travaillent en horaire décalé. Les WE, jours de fêtes, lors des vacances scolaires à toute heure du jour et de la nuit. S’il est vrai que le progrès à permis de faire baisser la pénibilité d’un strict point de vue physique, celle-ci n’a pas pour autant disparu, en se transformant notamment en pénibilité psychologique. Ça vous tente vous, à 60 ans, de vous lever à 3 heures du matin pour conduire un train durant 7 heures d’affilée ? Au même âge, de vous faire quotidiennement insulter par des gueulards pas heureux parce que le train a 10 minutes de retard ? Mais au fait, vous avez vraiment confiance vous, quand vous montez dans un TGV conduit par un vieux de plus de 60 balais ?
Il y a encore pas si longtemps, le slogan d’un candidat à la présidence était “Ensemble, tout devient possible”. En menant une politique d’exclusion, en faisant exploser les clivages, accroître les inégalités et en dressant des franges de la population les unes contre les autres, en effet, “tout devient possible”. Mais “Ensemble”, je cherche encore.