Hier soir, Titejuju et moi-même avons donc regardé le Jacky Show l’émission sur le référendum mettant en scène Jacques Chirac face à 80 jeunes triés sur le volet, co-animée par PPDA censé jouer le rôle de maître du débat, J.-L. Delarue, M.-O. Fogiel et E. Chain servant d’intermédiaires entre les jeunes et le Président. Je ne vais pas vous faire un résumé ordonné et commenté de l’émission, tout d’abord parce qu’il aurait fallu pour ça que je prenne des notes, mais également parce par moments nous avons zappé tellement l’ennui (et l’énervement, aussi, un peu) nous gagnait.
On peut commencer par se féliciter de la présence de Poivre qui a finalement été assez mordant sur certaines questions, même si Chirac, en répondant complètement à coté de la plaque comme à son habitude dès qu’une question le gène, nous a régalés d’un magnifique numéro de langue de bois, domaine dans lequel il excelle. Poivre qui, nous l’apprend Le Canard Enchaîné de cette semaine, a dû batailler ferme pour que Claude Chirac ne lui préfère pas Cauet. Sauvés.
Tout d’abord, appeller cette émission un « débat » est une vaste plaisanterie. Sans réel contradicteur, le Chi a pu raconter qu’il pensait qu’une discussion avec un homme politique partisan du Non n’aurait mené à rien. A vrai dire, ç’aurait même pu mener encore plus de gens à voter Non, on comprend donc qu’il préfère ne pas s’embarasser de ce genre de choses. Chirac a eu beau jeu de répèter à de nombreuses reprises que plusieurs des questions posées n’avaient rien à voir avec le texte pour lequel on votait. Ce fut vrai parfois, mais pas aussi systématique qu’il a cherché à le faire croire, à tel point que le téléspectateur non averti pouvait finir par se demander ce qu’il pouvait bien y avoir dans les 855 pages du TCE, si toutes les questions posées étaient hors-sujet. Par moment j’ai même eu l’impression que Chirac n’avait pas vraiment lu le texte qu’il venait défendre. A l’écouter, c’est le texte miracle, celui qui n’a aucun défaut, qui va tout résoudre, avec lequel il n’y a strictement aucun problème. Et ç’a été son leitmotiv toute la soirée. Vous avez dit pas crédible ? Vous avez raison. En faisant quelques concessions sur des points litigieux du texte, en objectant que des modifications ultérieures restaient envisageables, Chirac aurait beaucoup plus convaincu. Un texte parfait, personne n’est assez optimiste pour y croire. D’ailleurs, lorsqu’on lui a demandé si une récriture en cas de victoire du Non était possible, il a nié en bloc en assènant que se mettre d’accord à 25 pour ce faire serait strictement impossible, donnant autant de grain à moudre à ses adversaires qui martèlent qu’une fois ce texte voté, il n’y aurait aucun moyen de le modifier.
L’une des premières questions portait sur le terme de Constitution lui-même, qui paraîtrait-il fait peur. L’un des principaux arguments des pro-Oui est qu’il s’agit non pas d’une Constitution, mais d’un Traité établissant une constitution. Argument réfuté par l’Article I-1.1 qui dit « Inspirée par la volonté des citoyens et des États d’Europe de bâtir leur avenir commun, la présente Constitution établit l’Union européenne, à laquelle les États membres attribuent des compétences pour atteindre leurs objectifs communs. » Même différent sémantique lorsqu’un participant rétorque à Chirac que la notion de service public est absente du texte, remplacée par des « services d’intérêt économique général ». Détails, annonce le Chef de l’État, pour lui, il s’agit de la même chose et juste d’un obscur vocabulaire de juriste. Ça fait envie.
Parfois étrillé sur le nivellement par le bas que risque d’apporter l’ouverture totale des frontières, il a décidé de prendre pour exemple deux pays, l’Irlande et le Portugal, lesquels ont, selon lui, parfaitement réussi leur intégration dans l’Europe. En effet, l’économie du Portugal par exemple étant essentiellement basée sur l’industrie minière, le textile et l’agriculture, quel modèle prestigieux à l’avenir radieux et assuré. Aucune raison d’avoir peur, vraiment.
Chirac s’est surtout dit « étonné » de voir que les jeunes français étaient aussi « pessimistes » et leur a demandé « d’avoir confiance », « de ne pas avoir peur ». Venant d’un mec qui change d’avis comme de chemise, qui a pour habitude de balancer des promesses et de rarement les tenir (puisqu’après tout, elles n’engagent que ceux qui les croient), l’argument est de poids. C’est un peu facile de cosigner le traité de Nice en se félicitant des avancées qu’il apporte en 2000 pour maintenant le stigmatiser et balancer que tous les problèmes de l’Europe viennent de lui. Heureusement, quand un jeune homme demande pour quelle raison on devrait écouter des hommes politiques mis en cause dans des affaires de corruption ou de détournement d’argent, pourquoi on devrait leur faire confiance quand ils nous appellent à accepter un texte que l’on ne comprend pas, Delarue, très pro, lui coupe la chique et passe à autre chose. Après ce crime de lèse-Chirac, Titejuju fit remarquer qu’on allait prochainement retrouver ce jeune “suicidé d’une balle dans le dos”, et il y a fort à penser que si le réalisateur a évité de montrer le visage du Président à cet instant c’est probablement parce que lui aussi y pensait très fort.
Attention, là il y a du sang. Éloignez les femmes et les enfants: avec une virulence inouïe, une jeune fille eut l’impertinente audace de demander au Président s’il ne trouvait pas “éxagèrées” ces histoires de “délocalisations”, parce que selon elle “la crainte des délocalisations est infondée, car le principe de l’Europe repose sur l’amélioration des niveaux de vie, par le biais des fonds structurels”. Une question réellement difficile et désarçonnante, d’une perfidité extrême comme vous pouvez le constater. Je crois qu’à cet instant j’ai vraiment eu envie de zapper, mais j’aurais raté la réponse de Chirac qui avec aplomb a sorti que tout à fait, bonne petite, elle a entièrement raison, d’ailleurs les délocalisations ça crée des emplois en France.
Passons sur cet étudiant qui, lorsqu’il avoue travailler au noir pour financer ses études, provoque les rires d’une énorme partie de l’assistance. Consternant et révélateur de l’état d’esprit du public présent. Concluons: je pense que cette émission est un échec. Elle incitera peut-être quelques indécis à aller voter, mais je n’en suis même pas persuadé. Elle n’amènera, je pense, aucun partisan du Oui ou du Non à changer d’avis. Elle ne m’a pas appris grand chose sur ce que ce texte va m’apporter, malgré les demandes répétées Chirac a toujours répondu à coté. Bref, deux heures de n’importe quoi et de brassage de vent. Sinon, pas la peine d’espèrer, il a rappellé qu’il ne démissionnerait pas en cas de victoire du Non. Comme l’a dit Jospin, pour les questions intérieures, on aura 2007.