Nous sommes 5 et rentrons en métro après une soirée arrosée. Deux d’entre nous s’installent en milieu de wagon, les 3 autres, moi y compris un peu plus loin. Je discute avec mon voisin de gauche depuis dix bonnes minutes. Soudain, un haussement de ton à quelques mètres de moi me pousse à lever les yeux. Je cherche du regard et comprends rapidement : l’un d’entre nous, assis plus loin, est en train de se faire agresser. L’individu au ton hautement virulent s’impatiente. Je n’entends pas ce qu’ils disent, mais il se lève. Nous réfléchissons à 200 à l’heure. Que faire ? Nous lever pour nous interposer ? Ils sont 2, nous sommes 5, le calcul est vite fait. Il reste 3 stations.
Un coup d’oeil vers la main droite de l’agresseur me plonge dans une abîme d’hésitations. Il a quelque chose dedans. Un couteau ? Les souvenirs de mon agression en pleine rue à Orléans lorsque j’avais 12 ans me reviennent en plein visage. Ils étaient 8, 9, armés de couteaux à cran d’arrêt. Ils n’étaient pas plus vieux que moi, peut-être plus jeunes. Ils avaient tenté de me prendre mon argent en pleine rue, alors que ma mère était dans un magasin à 25 mètres de là. Des dizaines de passants avaient vu la scène sans bouger. A l’époque, je les avais intérieurement maudits, traités de lâches. Il reste deux stations.
À cet instant, c’est moi le lâche. Je vois mon pote se prendre des claques, et je bouillonne. Je vois bien que lui aussi est au bord d’en allonger une au type debout. Mais l’idée d’un couteau me fige. Et le pote de l’autre gars, qui si nous nous interposons, arrivera de derrière, a-t’il une arme lui aussi ? Il reste une station.
Ce n’est pas un couteau. C’est une bombe lacrymogène. Ce n’est pas beaucoup mieux. Mais ce n’est pas un couteau. Si nous nous levons, il y aura baston, c’est sûr. Ce n’est pas un couteau. S’en persuader. Et l’autre là, il va se lever pour défendre son pote, ou pas ? On va se battre à 10 secondes de l’arrivée à la station ? Nous nous levons. Ce n’est pas un couteau. Difficile de s’autopersuader quand on a tellement peur du contraire. L’autre gars se lève. L’agresseur, occupé à s’acharner sur mon pote, nous remarque à peine. Nous arrivons à la station. Mon pote se sera pris quelques claques, des insultes, et aura réussi à se contenir. Je l’admire. Y serais-je parvenu, en de telles circonstances ? Je n’ose rien dire. J’ai honte de moi-même. Il n’avait pas de couteau. Pourquoi j’y suis pas allé ? Parce que j’ai bu ? C’est pas censé rendre les gens plus agressifs, ça ?
Voilà. Je me sens con. Je me sens mal. Je suis profondément désolé. C’est con, mais je ne trouve rien d’autre à dire.